La question brûlante s’impose avec force : l’Ukraine pourrait-elle ouvrir un nouveau front au Sahel ? Ce débat, longtemps latent, s’est intensifié en 2024, à la suite de la rupture soudaine des relations diplomatiques entre le Mali, le Niger et Kiev. Cette crise géopolitique sans précédent plonge la région dans une tourmente profonde, révélant des fractures inédites au sein de la communauté internationale.
Au cœur de cette crise, Kiev se retrouve accusée d’être complice dans la défaite des forces maliennes et des paramilitaires russes lors de la bataille de Tinzaouatène, un affrontement tragique près de la frontière algérienne. Cette défaite a coûté la vie à 47 soldats maliens et 84 combattants russes, marquant un revers d’une ampleur inédite depuis l’arrivée du groupe Wagner au Mali en 2021. Le spectre de cette défaite, doublé des accusations qui en ont découlé, ébranle la sous-région.
Les autorités maliennes reprochent à l’Ukraine d’avoir soutenu indirectement les rebelles séparatistes en leur fournissant des renseignements cruciaux. Selon Andriï Ioussov, porte-parole ukrainien des services du renseignement, l’Ukraine aurait transmis des informations qui ont permis aux insurgés de mener l’attaque contre les forces maliennes et russes. Ces révélations ont provoqué un véritable choc à Bamako, où le gouvernement a vivement dénoncé ce qu’il considère comme un acte de « trahison », accusant Kiev de soutenir des groupes terroristes et d’orchestrer une attaque « lâche et barbare ».
La déclaration de M. Ioussov, relayée par l’ambassadeur ukrainien au Sénégal, Yurii Pyvovarov, a amplifié la crise diplomatique. Ce dernier a été
convoqué pour fournir des explications, mais l’incident a eu l’effet d’un catalyseur, intensifiant les tensions entre le Mali et l’Ukraine. De son côté,
la Russie n’a pas tardé à réagir, à travers la voix de sa porte-parole, Maria Zakharova, qui a dénoncé une tentative d’ouverture d’un « deuxième front » en Afrique.
Selon elle, l’Ukraine chercherait à soutenir des groupes terroristes dans des États alliés à Moscou, exacerbant ainsi la confrontation géopolitique dans la région.
Ce bras de fer entre Kiev et Moscou, qui se joue à travers des manœuvres diplomatiques et militaires, ne fait que compliquer davantage la situation en Afrique, où
l’Ukraine cherchait pourtant à renforcer ses relations.
Cette tournure des évènements survient, alors même que le ministre ukrainien des Affaires étrangères,
Dmytro Kuleba, poursuit sa tournée diplomatique en Afrique, visant à renforcer les liens entre le pays et le continent. Toutefois, cet incident pourrait bien
éclipser ses efforts, surtout après que les pays africains aient largement choisi l’abstention lors du vote de l’ONU condamnant l’agression de l’Ukraine par la Russie en mars 2022.
La défaite de Tinzaouatène, survenue fin juillet 2024, est désormais gravée dans les annales comme l’un des plus grands revers subis par les forces maliennes et russes depuis des années. En dépit des offensives menées conjointement par les troupes maliennes et russes, les rebelles séparatistes continuent de résister. Des vidéos et témoignages font état de la présence de soldats d’origine blanche parmi les victimes, bien que le gouvernement de Bamako ait toujours nié l’implication de Wagner dans cet affrontement. Cette incertitude sur les acteurs impliqués et les causes profondes de l’échec ajoutent encore à la confusion et à l’instabilité croissantes.
La réponse du Mali et du Niger a été immédiate et sans équivoque : rupture des relations diplomatiques avec Kiev. Le gouvernement malien a été suivi de près par celui du Niger, qui a condamné les « propos subversifs et inacceptables » de M. Ioussov et a demandé l’intervention du Conseil de sécurité des Nations Unies. Niamey a également pointé du doigt l’absence de réaction des autres nations africaines et de l’Union africaine face à ce qu’il considère comme des tentatives de manipulation géopolitique du Sahel.
Face à cette crise, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) a, quant à elle, réaffirmé sa position ferme contre toute ingérence étrangère dans la région. Elle a mis en garde contre les tentatives de transformation du Sahel en un terrain de bataille géopolitique entre puissances extérieures. Cependant, malgré ces déclarations de principe, l’équilibre fragile de la région semble de plus en plus menacé par les jeux d’influence de la Russie et de l’Ukraine.
Ce nouvel épisode de tensions révèle non seulement la lutte d’influence entre Moscou et Kiev, mais aussi la nécessité d’une approche plus subtile et diplomatique dans la gestion des conflits africains. Dans un contexte aussi volatile, les acteurs régionaux et internationaux doivent agir avec une prudence extrême, afin d’éviter une escalade qui pourrait avoir des conséquences dramatiques pour la stabilité du Sahel et, plus largement, de l’Afrique.