Le 29 mai dernier, au siège flamboyant de la Banque africaine de développement, à Abidjan, l’Afrique a choisi. Et elle a choisi vite. Trop vite ? Peut-être. Mais elle a surtout choisi clairement. Au terme de trois tours de scrutin à peine, les actionnaires de l’institution ont accordé leur confiance à un homme de dossier, de méthode, et d’entregent : le Mauritanien Sidi Ould Tah.
C’est peu dire que cette élection n’a pas déchaîné les passions. Et pour cause : tout avait été orchestré, pesé, équilibré. Les jeux, dit-on, étaient faits bien avant le scrutin. L’épreuve n’en a pas moins eu lieu. Trois tours, pas un de plus, et un verdict sans appel. Ceux qui espéraient des joutes diplomatiques à couteaux tirés, des suspenses à rallonge, en furent pour leurs frais.
Expansion maîtrisée, diversification assumée : La force d’Idrissa Nassa ne réside pas seulement dans sa croissance organique. Elle réside dans sa capacité à lire les mutations du continent et à s’y positionner avec lucidité. En reprenant la filiale ivoirienne de Standard Chartered, puis en acquérant 67,8 % de la Société Générale Tchad, Coris Bank a affirmé son appétit de conquête. Seul le veto du régulateur camerounais est, pour l’instant, venu freiner son offensive. Mais il en faudra plus pour dissuader l’homme d’affaires burkinabè. Déjà, ses regards se tournent vers Libreville. Et les prochains mois diront si Coris entrera au Gabon.
À la stratégie bancaire, s’est ajoutée une diversification économique. Avec Coris Investment Group, Nassa investit dans l’énergie, la distribution pétrolière, et les mines. Il rachète les actifs aval de TotalEnergies au Burkina Faso. Puis, via Nioko Resources, prend le contrôle de Hummingbird Resources, et donc des mines d’or de Yanfolila au Mali et de Kouroussa en Guinée. Cela, sans tambour, mais avec méthode.
Le vainqueur, Sidi Ould Tah : n’est pas un inconnu. Ancien ministre, ancien directeur du Fonds international de développement agricole (Fida), cet homme discret et efficace coche toutes les cases. Surtout, il n’effraie personne. Ni les puissants de l’Afrique anglophone, ni les vieux alliés du Maghreb, encore moins les partenaires non africains. Il rassure, incarne une certaine continuité, sans renier la nécessité de changement.
les applaudissements :
À la mi-journée, les applaudissements fusent. Les visages sont crispés, mais le résultat est clair. Le Nigérian Akinwumi Adesina s’efface, après deux mandats parfois contestés, souvent brillants. Son successeur est déjà là, prêt, affable, ferme sous des dehors calmes. L’Afrique semble avoir misé sur l’équilibre plutôt que sur l’audace. Mais n’est-ce pas là, justement, une forme d’audace ?
Reste à savoir comment Sidi Ould Tah saura faire vivre cette institution continentale, dans un monde où l’Afrique, plus que jamais, a besoin de financements intelligents, de partenariats solides et d’une vision à long terme. Il aura, pour cela, les outils. Aura-t-il les coudées franches ? Rien n’est moins sûr. Mais une chose est certaine : l’Afrique a parlé. Et, cette fois, d’une seule voix.
Par Rouki ROUAMBA