Il faut bien l’admettre : le FESPAM n’est pas un simple festival. C’est un miroir. Un révélateur. Une tentative – souvent contrariée, parfois sublime – de dire au monde que l’Afrique n’est pas seulement un continent qui subit. Mais aussi un continent qui pense, qui chante, qui danse… et qui s’exprime.

Le Festival Panafricain de Musique, initié en 1996 à Brazzaville, au Congo, portait une ambition que l’on peut qualifier, sans emphase inutile, d’historique : faire de la musique le vecteur d’un dialogue interculturel africain, une tribune artistique capable de réconcilier nos héritages, nos langues, nos rythmes, nos douleurs et nos rêves.

Mais qu’en est-il aujourd’hui, près de 30 ans plus tard ?

La musique comme passeport

Au commencement, l'idée était belle. La musique, en Afrique, est un langage avant d’être un divertissement. Elle est politique, religieuse, sociale, thérapeutique. Elle dit ce que les mots taisent, ce que les lois interdisent, ce que les cœurs désirent. Du mbalax sénégalais au bikutsi camerounais, du ndombolo congolais au gnawa marocain, chaque rythme est une archive vivante de notre histoire collective.

Le FESPAM avait donc vocation à devenir une sorte de “Maison de l’Unité Culturelle Africaine” où chaque édition ferait dialoguer traditions et modernité, continent et diaspora, mémoire et futur.
Et pourtant.

Un rêve contrarié

Comme souvent sur notre continent, l’ambition a été confrontée à l’épreuve redoutable de la gouvernance. Le FESPAM, pourtant adossé à l’Union Africaine et soutenu par l’État congolais, a connu de longues interruptions, des retards, des éditions ajournées. Des artistes non payés. Des logistiques chaotiques. Des programmations approximatives.

À vouloir trop politiser un événement culturel, on a souvent vidé de sens ce qu’il pouvait porter de subversif, d’avant-gardiste, de neuf.

À Brazzaville, capitale qui a vu passer Miriam Makeba, Papa Wemba, Salif Keita, ou encore Youssou N’Dour, les rues ne vibrent plus comme avant à chaque édition du FESPAM. La jeunesse, désormais, préfère les plateformes numériques aux scènes installées à la hâte dans des stades mal sonorisés.

La culture, lorsqu’elle devient vitrine politique, perd souvent de son authenticité.

Mais tout n’est pas perdu

Ce serait une erreur de condamner le FESPAM à l’échec. Car il dit beaucoup de nos possibles. Il dit que l’Afrique peut inventer ses propres institutions culturelles. Il dit que nos musiciens, nos chefs d’orchestre, nos griots et nos DJ ont besoin d’espaces d’expression, de reconnaissance et de circulation.

Mais cela suppose un changement de paradigme.

Le FESPAM ne doit plus être simplement un “événement” – il doit devenir une “institution” avec un financement stable, une gouvernance indépendante, une programmation anticipée, un ancrage continental. Il doit dialoguer avec les maisons de production, les festivals partenaires (comme le MASA d’Abidjan, ou le FEMUA), les plateformes numériques, les musées vivants de la culture africaine.

Il est temps que Brazzaville ne soit plus seulement un hôte, mais un épicentre. Un lieu de rayonnement. Un hub créatif.

Un appel à la lucidité

Nous aimerions dire que l’Afrique doit apprendre à se regarder sans complaisance, et à se réinventer sans mimétisme. C’est peut-être la leçon la plus urgente que nous donne le FESPAM.

Car derrière chaque tam-tam résonne une question politique : qui finance la culture ? Qui la promeut ? Qui la valorise ? Quelle Afrique voulons-nous célébrer ? Celle des stars éphémères ou celle des bâtisseurs de récits durables ?

Il n’est pas trop tard pour sauver le FESPAM. Il n’est pas trop tard pour qu’il redevienne ce qu’il n’a jamais vraiment cessé d’être : un chant d’espoir pour une Afrique qui cherche encore sa propre voix.